Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

Introduction à l’Assemblée générale de la Plateforme en juin 2015

22 septembre 2015 - C. Léostic

Introduction au rapport d’orientation

Aperçu de la situation politique

1- Un contexte international nouveau

L’apparition de Daech (OEI) dans le champ politique mondial a des répercussions majeures et graves qui s’étendent du Moyen-Orient à l’Afrique noire, jusqu’à l’Europe et la France. Couplée au désengagement des USA d’une action directe au P-O, à l’inaction de l’UE et à l’impuissance/faiblesse des Nations unies, elle crée une situation inédite dans un « monde arabe » en désagrégation.

• Daech
« L’organisation de l’Etat islamique » voit le jour dès 2006 lors de l’invasion de l’Irak mais n’apparaît dans le champ politique qu’en 2011 quand commence le conflit en Syrie et il émerge sur la scène internationale comme un nouvel acteur majeur après la prise de Mossoul (dans le nord de l’Irak) en 2013.

Dans le cadre de la désagrégation des Etats de la région, il occupe le vide laissé par la fin des résistances aux pouvoirs coloniaux et Il veut se substituer aux Etats-nations. Il entend établir un modèle d’islam mondialisé, contrairement à Al Qaida dont il se pose en rival, et dispose aussi d’un solide ancrage local qui lui permet de mobiliser les masses dont la frustration trouve là un exutoire. Il y a déclaré un « califat » il y a un an. L’accaparement des terres et richesses des territoires conquis l’enrichit considérablement (pétrole dont l’exploitation lui procure 1 million de dollars par jour, gaz et céréales ) de même que le commerce florissant ou la contrebande avec divers pays dont des pays européens si l’on en croit l’ambassadrice de l’UE en Irak. Il reçoit aussi des dons et pratique et le racket, le pillage et l’esclavage (rappelons nous les yazidis dont la calvaire n’est pas terminé) et se sont emparés des banques de la région qu’ils contrôlent.

Il a établi toutes les structures d’un Etat et contrôle un territoire très vaste, 300 000 km2 de Rakka à Mossoul et s’impose à plus de 10 millions d’habitants. Son armée compte environ 25 000 combattants. Il dispose d’un armement moderne et puissant, procuré par des acteurs régionaux et aussi récupéré en Syrie et dans des bases US en Irak.

Sa maîtrise des réseaux sociaux et de la mise en scène, sa violence monstrueuse, créent terreur et fantasmes qui débordent très largement les zones où il existe. Ravivant le concept mortifère du « choc de civilisations » et maîtrisant parfaitement les outils des nouvelles technologies qui faisaient défaut à al-Qaida, lui permettant une redoutable propagande, Daech alimente l’islamophobie qui s’étend dangereusement.

• Comment lutter contre Daech ?

Sa force est en miroir la faiblesse de la communauté internationale qui n’a pas réussi à élaborer de stratégie commune. Les luttes de pouvoir sanglantes entre les acteurs régionaux, amènent ceux-ci à utiliser Daech pour affaiblir l’adversaire, malgré le danger intrinsèque pour tous. Quant à la coalition internationale, autour des USA, qui bombarde le territoire contrôlé par Daech depuis août, elle est limitée par la décision de ne pas intervenir au sol et l’absence de stratégie à long terme.

Il n’est pas possible de lui imposer des sanctions car son financement est en grande partie maffieux et les alliances troubles sont ici encore en place pour des questions d’intérêt. Seuls les Kurdes se sont engagés sur le terrain contre les troupes de Daech et ont gagné des victoires et libéré des parties du territoire occupé. Kobané, par exemple, mais qui vient de subir un grave revers puisque Daech, sans doute pour manifester sa force un an après la déclaration du califat, a attaqué la ville le 25 juin, faisant plus de 160 000 morts et des dizaines de milliers de déplacés.

2) Une nouvelle donne régionale

Ce nouvel acteur modifie profondément la donne régionale et en accélère la déstructuration sur fond de lutte ancienne entre communautés sunnites et chiites instrumentalisée pour des raisons géopolitiques, de relance du concept de choc des civilisations et de la présence coloniale israélienne. La responsabilité des grandes puissances, notamment occidentales, est indiscutable, que ce soit les USA et la guerre contre l’Irak ou le rôle de la France en Lybie par exemple.

• Les Kurdes, sans Etat et longtemps maintenus à la lisière de l’histoire, sont maintenant un acteur reconnu dans le champ régional et au-delà, par leur engagement contre Daech que la Turquie a tenté d’utiliser pour contenir la montée en puissance des forces kurdes. Aujourd’hui affaibli après les élections, le régime d’Erdogan doit composer avec eux mais aussi avec l’extrême droite.

• En Syrie Al Nusra joue d’alliances variables et s’il veut faire tomber Assad, il s’oppose parfois à Daech. Il combat les forces d’Assad dont l’Occident et la Turquie veulent la chute mais il est aussi utilisé par Assad contre ses adversaires, avec l’aval de la Russie qui revient dans le jeu régional, pour se poser en rempart contre les « islamistes ». Le Hezbollah, poussé par l’Iran, combat Daech dont la victoire en Syrie serait un gain majeur pour Israël dans sa lutte contre l’Iran, tandis que l’afflux de réfugiés, dont de nombreux Palestiniens, intensifierait la déstabilisation de la région.

• En Irak Maliki qui a mis les forces politiques sunnites de côté quand il a pris le pouvoir, tente maintenant de s’en rapprocher pour asseoir son pouvoir. Daech et ses alliés sont aussi l’instrument malsain et dangereux du jeu des alliances au Yemen où les Houthis, protégés de l’Iran, ont pris le pouvoir et sont bombardés depuis mars par Arabie saoudite soutenue par les USA (4).

• Ils ont pris pied en Lybie où règne le chaos depuis la chute de Khaddafi (différents groupes islamistes, des tribus ingérables qui s’opposent, deux gouvernements de fait et des allégeances à Daech qui s’est emparé de Syrte). Le risque d’extension aux pays voisins, notamment la Tunisie, maillon faible militairement dans la région, est réel et inquiétant. L’attentat qui vient de frapper Sousse en atteste, comme l’attaque contre les mosquées chiites au Koweit.

• L’Iran, seule grande puissance militaire régionale, toujours dans la mire du gouvernement israélien sur la question du nucléaire, est officiellement opposé à Daech, tandis que l’Arabie saoudite l’a soutenu jusqu’au remaniement de la direction à Riyad. Les discussions sur le nucléaire iranien et l’accord international qui devrait être finalisé le 30 juin, sont-ils motivés par la volonté de ramener l’Iran fermement dans le camp anti-Daech ? L’Arabie saoudite (alliée de la France à la fois pour des intérêts économiques et militaires autour de l’aéronautique et parce que ses relations avec les USA se sont détériorées) et le Qatar qui a aidé Daech financièrement jusqu’en 2013 « jouent avec le feu ».

• L’Egypte (soutenue par la France et le Royaume-Uni), aux mains des militaires depuis juin 2013, opposée à la Turquie dans la course au leadership régional et alliée à l’Arabie Saoudite, cherche une légitimité perdue et s’attaque violemment aux Frères musulmans qui sont présents jusqu’au Sinaï. Mais elle n’est pas prête à entrer dans une guerre. Elle condamne à mort les dirigeants mais vient de leur faire la proposition de rentrer dans le cadre étatique, ce qu’ils ont refusé. Elle maintient le blocus au sud de Gaza, mais elle vient de retirer le Hamas, dont les partisans ont combattu Daech en Syrie, dans le camp de Yarmouk et qui s’oppose dans la bande de Gaza à des bandes salafistes qui s’y introduisent, de la liste des organisations terroristes.

• Enfin, Israël trouve un intérêt certain à coopérer avec al-Nusra- Daech dans le Golan, car si celui-ci gagne en Syrie, le Golan occupé restera israélien (cf. Sharon fils). L’armée israélienne qui occupe les hauteurs du Golan a apporté des soins aux blessés de Daech (cf.Ynet) afin de permettre leur retour au front, selon des témoins oculaires de l’ONU, et ont livré du matériel (rapport ONU de mars 2015). De même au Liban, le soutien israélien à al Nusra, allié de Daech, vise à affaiblir le Hezbollah, allié d’Assad. Selon un général israélien influent le « Hezbollah et l’Iran sont les ennemis d’Israël bien plus que Daech », ce qui amène Israël à tenter des rapprochements avec l’Arabie saoudite.

3) Palestine-Israël

Dans ce contexte mouvant qui focalise l’attention et la peur du monde, la question de Palestine semble moins visible.

• La situation coloniale reste inchangée, voire empire. Quelques exemples :
En Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, les attaques des colons et de l’armée, les démolitions de maisons, la destruction des terres, les arrestations et les raids sont quotidiens, faisant morts et blessés. Les Bédouins et éleveurs sont directement ciblés. Ils le sont aussi sur le territoire israélien. De même les enfants sont victimes de mauvais traitements systématiques, que ce soit dans les prisons israéliennes ou dans les colonies où ils sont contraints de travailler.
La nouvelle TV palestinienne en Israël est fermée, l’entrée à Jérusalem interdite, la loi sur la séparation des familles est prolongée d’un an.

Dans la bande de Gaza, les attaques se multiplient contre pêcheurs et fermiers, en plus des attaques aériennes fréquentes, alors que la reconstruction est un vain mot et que la pauvreté grandit. La situation sanitaire, humanitaire et économique est très grave et le blocus toujours hermétique. Côté égyptien, Rafah a été ouvert pendant quelques jours mais de nouvelles destructions de maisons sont en cours pour étendre la zone tampon vers l’Egypte dont la complicité dans le blocus reste évidente.
La question des prisonniers est emblématique de l’occupation : traitement réservé aux enfants dans les prisons, détention administrative, alimentation forcée qui fait écho à l’arrêt de délivrance de médicaments, détention d’élus comme K. Jarrar, attaques physiques contre les prisonniers, déplacement de prison ou interdiction de visites comme A. Sa’adat. Par contre, signe peut-être de contacts avec le hamas, les autorités israéliennes viennent de libérer deux responsables, le président du parlement palestinien, Abdelaziz Dweik de Gaza, et Hassan Youssef, de Ramallah.

• La situation politique ne laisse pas entrevoir de solution juste à moyen terme.
En Israël, le gouvernement de droite extrême issu des dernières élections navigue entre répression et menaces ou provocations toujours plus extrêmes. Tandis que les problèmes internes s’intensifient en Israël, la campagne menée contre BDS, qui en montre l’impact grandissant, entraîne des dérives verbales graves (« BDS= nazis », « les juifs doivent tous se défendre »). Elle révèle une fuite en avant des dirigeants israéliens, qui s’isolent de plus en plus mais comptent encore sur l’impunité dont ils ont joui jusqu’alors. Leur rejet des commissions d’enquête et des rapports internationaux (sur Gaza, sur le meurtre des 4 gamins) en témoignent. Une loi est en préparation pour retreindre l’activité des ONG de défense des droits humains en Israël.

En Palestine le gouvernement d’union, et l’union, n’ont pas tenu longtemps et on retrouve les forts antagonismes entre Fatah et Hamas, tous deux déconsidérés, au détriment des intérêts de la population et de la lutte de libération. Cette incapacité à dépasser les intérêts partisans et idéologiques conduit, en plus du blocus, à retarder la reconstruction de Gaza telle que voulue par les donateurs.

Le Hamas serait en négociations avec Israël pour décider d’une trêve de long terme, qui exclurait l’Autorité palestinienne et consacrerait la rupture entre Cisjordanie et Gaza, AP et Hamas.

Le point positif est le recours à la CPI, les premiers dossiers venant d’y être déposés (concernant Gaza, la colonisation et les prisonniers).
Et aussi la résistance qui tient bon, que ce soit pour les prisonniers ou les manifestations de la résistance populaire pour la terre et le droit et qui se manifeste aussi dans l’inventivité dont font preuve les Palestiniens de Gaza pour survivre au blocus.

4) Les réactions de la « communauté internationale »

Devant ce terrorisme de Daech et de ses alliés, la peur entraîne des amalgames dangereux. Des analystes évoquent le risque d’un 11-septembre en Europe.
On assiste à la montée des extrêmes, de l’intolérance et du racisme dans de nombreuses régions.

La déliquescence du « monde arabe » et le déplacement de l’intérêt, de la question de Palestine vers Daech, se fait au détriment des droits des Palestiniens et de la paix dans la région.

• L’ONU semble impuissante et est parfois accusée de complicité. Le rapport sur Gaza qui vient de sortir et conclut à des crimes de guerre va y contribuer en mettant quasiment à égalité les deux parties, forces militaires d’occupation et forces de la résistance armée. Mais il indique des chiffres qui parlent d’eux-mêmes : « Le niveau de dévastation est sans précédent », 2 251 Palestiniens ont été tués, dont 1 462 civils et 551 enfants. Côté israélien, 67 soldats et 6 civils ont perdu la vie. La commission met en cause « l’impunité qui prévaut à tous les niveaux dans les actions des forces armées israéliennes, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie » mais ne met pas en évidence l’illégalité du blocus. La crainte est grande que ce rapport, bien accueilli par plusieurs de nos partenaires à Gaza, ne subisse le sort du rapport Goldstone, à la différence que cette fois, la Palestine est reconnue comme Etat pouvant ester devant la CPI.

• Après leur dernier échec, les Etats-Unis ont renoncé à s’engager réellement, plus occupés à contrer la Russie -qui revient sur la scène moyen-orientale- qu’à veiller à l’application de la justice au Proche-Orient. Néanmoins, Poutine et Obama viennent de décider d’une nécessaire action commune contre Daech. Les tensions raciales aux USA accaparent l’attention. La campagne électorale qui s’annonce va bloquer toute avancée possible et la candidature de H. Clinton laisse présager un soutien ravivé à Israël. Et qu’ l’on assiste à sa victoire ou celle des Républicains, on peut parier que le soutien US à Israël ne faiblira pas.

• L’UE est absente du jeu, figée sur la question des migrants en Méditerranée et la question de la Grèce et empêtrée dans les contradictions de ses membres. La droitisation de l’Europe (sauf en Espagne et en Grèce, bien isolés de leur environnement politique) et la montée des racismes sont préoccupants. Le travail de lobbying israélien auprès de l’UE est considérable et seuls quelques dizaines de députés manifestent leur soutien à la Palestine. On peut noter la reconnaissance de la Palestine par le Vatican qui a déclenché la fureur d’Israël.

• La France connaît une situation particulière depuis les attaques de janvier. La posture gouvernementale pendant la guerre israélienne contre Gaza l’été dernier s’est à peine infléchie depuis. L’instrumentalisation des attentats de Paris, la manipulation par les officines qui soutiennent la politique israélienne, la criminalisation de BDS, ont entraîné à la fois l’augmentation de l’antisémitisme et la montée en flèche de l’islamophobie, sur fond de peur –légitime - des jihadistes de Daech. L’échec de la diplomatie française, qui prétend toujours au rôle de grande puissance, est flagrant. Pourtant la même opinion prévaut au MAE, qu’il faut relancer les négociations entre les parties, sous l’égide d’une conférence internationale puisque les Etats-Unis, parrain fatigué, ne s’engagent pas plus loin (tout en continuant à soutenir et armer Israël). Le rejet virulent par Netanyahou de la proposition française, le « diktat », n’y change rien, et la reconnaissance de la Palestine reste malheureusementun outil lointain sur l’agenda du gouvernement.

• Les sociétés civiles comme souvent prennent en charge les devoirs dont les Etats ne savent / veulent pas s’acquitter. Solidarité active, information, actions concrètes, dans tous les pays du monde, le soutien aux revendications palestiniennes ne faiblit pas devant les intimidations, les déplacements d’intérêt, la difficulté d’atteindre les objectifs. C’est pourquoi la campagne BDS prend de l’ampleur au niveau mondial, qu’on voit les églises ou universités désinvestir, les citoyens boycotter les produits de la colonisation, et des élus relayer notre campagne Made in Illegality L’offensive contre Gaza l’an passé a entraîné des manifestations populaires énormes, y compris en France malgré la « bienveillance » de la présidence envers Israël. Le blocus de Gaza est le meilleur exemple, avec les flottilles, de cette solidarité active. La troisième Flottille de la Liberté, qui exige la levée du blocus, porte ce message et nous la soutenons pleinement.

• La question de Palestine reste cruciale. Notre rôle, nos responsabilités sont de maintenir le cap de la solidarité, de déconstruire les fantasmes et les amalgames, de peser au maximum pour imposer clarification et respect du droit.


Sources :
Sites palestiniens : Ma’an news, Imemc, PNN, Palestine chronicle
Haaretz
Orient XXI : http://orientxxi.info/magazine/la-b...,0921
http://orientxxi.info/magazine/effa...,0937
http://orientxxi.info/magazine/l-au...,0927
https://electronicintifada.net/cont...
http://www.iris-france.org/61403-qu...
http://www.lemonde.fr/proche-orient...
http://www.lemonde.fr/proche-orient...

PS : La situation a beaucoup évolué depuis fin juin. Pour l’actualiser, de nombreux articles, notamment sur Orient XXI




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